(D'après le livre de Jean-Jacques PIGNARD: LES CONSCRITS aux
éditions de Trévoux/SME et Regard sur Villefranche de l'association pour la promotion de
Villefranche)
Sous le second empire, deux jeunes gens de Villefranche qui s'en allaient tirer
au sort se présentèrent devant les autorités militaires en habit noir et gibus... pour
solenniser l'événement ou pour le brocarder ! L'année suivante, tous les garçons de
vingt ans qui devaient accomplir cette formalité adoptèrent la même tenue... Un peu
plus tard, sous la troisième république, les hommes de quarante ans s'associèrent à
eux pour célébrer l'anniversaire de leur propre tirage, puis ceux de soixante... et les
autres. La fête des conscrits était née. Elle réunit bientôt en de folles
réjouissances tous les mâles de la ville qui entraient dans une décennie nouvelle.
Tout petit caladois apprend ainsi dès sa plus tendre enfance l'origine de
l'événement grandiose qui met Villefranche en émoi, le dernier dimanche de janvier.
Inlassablement répétée et déformée, cette anecdote en constitue la légende dorée.
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Au delà de son aspect folklorique, cette célébration met en mouvement des sentiments
très profonds. En un sens, elle touche à l'essentiel. Il ne faut pas chercher ailleurs
le secret de sa longévité.
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Cette fête des rues est bien d'avantage qu'une fête des rues. Les conscrits de
Villefranche ont mis en musique la partition de la vie, de l'amitié et de la solidarité.
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La tradition: Ce terme explique la transmission de générations en générations du
passé, de l'histoire de notre ville pour en assurer la mémoire collective. Certes, ce
sentiment se retrouve dans les écrits, les monuments, les bâtiments et leur
architecture, les images, le son qui nous restent car ils sont peu ou prou conservés.
mais il y a des événements qu'il ne suffit pas de lire, de voir et d'entendre pour les
connaître. C'est le cas de la fête des conscrits, événement majeur de la vie
caladoise, exemple d'une vie associative qui marque la convivialité des habitants de
cette ville.
La fête des conscrits se déroule à date fixe, immuable, le dernier dimanche du mois de
janvier. Les festivités durent plusieurs jours pour les conscrits mais le moment le plus
important, parce qu'il est le spectacle offert au public, se déroule le dimanche à 11h.
Tous les conscrits se réunissent au sud de la ville, en réalité en haut de la rue
nationale, voie la plus importante et très commerçante qui traverse toute la ville, en
smoking et chapeau haut-de-forme orné d'un ruban vert pour les 20 ans, jaune pour les 30
ans, orange pour les 40 ans, rouge pour les 50 ans, bleu pour les 60 ans, violet pour les
70 ans et tricolore à partir de 80 ans. Ils vont défiler tout au long de cette grande
rue ( plus d'un kilomètre), chaque décade étant précédée d'une musique militaire ou
d'une fanfare.
Hormis le smoking et le gibus, les conscrits arborent une écharpe blanche, des gants
blancs et un bouquet d'illets et mimosas à la main. Ils se mettent par rang de 5 ou
6, se donnant le bras et défilant en allant d'un côté à l'autre de la rue, un rang
partant à droite alors que le suivant va à gauche et ainsi de suite. La rue nationale se
trouvant être en forme de cuvette, on les voit donc allant et venant deci-delà,
descendre et remonter comme une vague: c'est ainsi que ce défilé remarquable, qui attire
chaque année des spectateurs aussi nombreux que la population de la ville, s'appelle
"la vague des conscrits". La qualité de cette fête est telle que certains
reviennent parfois de fort loin pour y participer.
Hormis ce point culminant de la fête, il faut aussi indiquer que dès le vendredi soir se
déroule une retraite aux flambeaux pour laquelle chaque décade choisit un thème
de déguisement et qui se termine sur le perron de l'hôtel de ville où le président des
20 ans vient aimablement offrir à l'épouse du maire, entourée du maire et du conseil
municipal, une gerbe de fleurs.
Le samedi matin est réservé au souvenir, chaque classe allant déposer des fleurs sur
les tombes des disparus, puis à la gratitude et à la solidarité par une visite aux
conscrits malades à l'hôpital, ou âgés dans les maisons de retraite. L'après-midi,
chaque classe se répartit en groupes pour porter le bouquet aux dames conscrites, qui ne
sont pas oubliées dans cette fête d'hommes, et qui ont désiré recevoir cet hommage.
Après le défilé du dimanche matin, précédé de l'aubade au président de classe par
ses conscrits et de la photographie de groupe, chacune se retrouve pour le banquet auquel
participent les conscrits et leurs invités (hommes). Le soir enfin un bal par classe
réunira une foule d'amis et connaissances. Ceci n'est pourtant pas fini, les conscrits se
retrouvent par classes le lundi pour un autre repas à l'extérieur de Villefranche
appelé "le retinton", puis le mardi, toutes classes réunies, pour le
"super retinton".
Tradition complémentaire à la tradition, chaque amicale de classe a sa chanson ( paroles
originales sur un air connu) que les conscrits chanteront pendant toute la fête à chaque
instant et toujours avec beaucoup de bonne humeur.
Lorsqu'on a vécu ces moments, cette "vague", cette fête, on ne peut
s'empêcher de ressentir un peu de nostalgie en même temps que le désir de voir arriver
la prochaine décade.
Mais le vide ne se fait pas entre deux décades et les caladois qui le vivent toute leur
vie le savent bien. En effet, les conscrits regroupés en amicales, constituées sous
forme d'association loi 1901, continuent de se voir et se rencontrer tout au long de la
décade qui les séparent de la prochaine fête des conscrits pour eux-mêmes. Au sein de
ces amicales, les positions sociales, les notabilités n'existent pas : le tutoiement est
de règle et chacun n'a qu'une seule qualité, celle d'être le conscrit des autres.
Les classes tiennent une réunion par mois et organisent tout au long de l'année, repas,
sauteries et voyages. Sans doute tous les conscrits ayant participé à la fête ne
suivent-ils pas les réunions ou manifestations de la classe mais il y a toujours un fort
noyau qui s'agrandit, au fur et à mesure que l'on approche de l'année au cours de
laquelle on sera conscrit. Pendant toute la décade, non seulement on se réunira, on se
rencontrera, mais encore on soutiendra celui qui se trouvera en difficultés, celui qui
sera frappé par le malheur et de la même façon on s'associera à celui qui sera
distingué ou qui vivra un événement heureux. Il faut dire aussi qu'un conscrit sera
toujours pris en charge par la classe si sa situation ne lui permet pas de financer le
coût de la fête.
Chaque classe a sa vie interne, on peut même dire intérieure pendant toute la décade.
Il y a une fraternité, une solidarité, une amitié sûre, profonde qui sans doute
participe pour beaucoup au caractère convivial des caladois.
L'ambiance amicale des conscrits au moment de la fête retombe partout, se ressent
partout. Dans les entreprises, les administrations, les bureaux, les commerces on fêtera
les conscrits et les conscrites de l'entreprise, du bureau... Des cadeaux leur seront
remis qu'ils participent à la fête ou non.
C'est une très belle fête en vérité, mais plus encore, cette tradition est surtout une
magnifique occasion de rencontre, de vie ensemble dans une même ville avec au delà des
opinions politiques, philosophiques, confessionnelles, un lien d'amitié profond et
inoubliable. La tradition à Villefranche, c'est donc au-delà de la fête, quatre-vingts
associations cultivant la fraternité et l'amitié. C'est cela d'abord et c'est cela
surtout. C'est enfin un atout essentiel, remarquable, exemplaire de la vie
associative.